Bonjour, Monsieur sans frontières

"Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifies-tu, comme si tu ne l'avais pas reçu ?"

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J'ai été le dernier médecin envoyé en mission au Rwanda par Médecins Sans Frontières, en 1994 après le génocide. C'était en novembre, nous avions décidé d'évacuer tous les camps de réfugiés. En effet les auteurs des massacres avaient commencé à les envahir et les régenter.

 

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L'un de leurs buts était le "parachèvement du génocide", selon le communiqué de MSF. En restant dans les camps, nous pouvions devenir leurs complices. Celui où j'ai travaillé se situait à mi-chemin entre Bukavu et Goma au Zaïre, au bord de l'immense et très beau lac Kivu.

 

 

 

 

Le jour de notre départ, nous chargions les camions pour rejoindre Kigali, la capitale du Rwanda. Nous voyant affairés, une petite fille m'a abordé avec un grand sourire et m'a crié : "BONJOUR, MONSIEUR SANS FRONTIERES !!"

 

Ces quelques instants - comme tant d'autres - ont marqué ma vie. Ils restent gravés là, au fond de mon être, dans un lieu qui garde en mémoire, les moments de grande paix toute simple - souvent des éclairs. Il suffit de les faire ressurgir pour qu'ils soient revécus, intacts.

 

Il y a quelques jours, porte d'Arras au sud de Lille, je m'arrête à un feu rouge. Une petite fille, le visage triste, comme tant d'autres sans logis, vient vers moi pour me demander de l'argent. Au moment de recevoir son aumône dérisoire, ses yeux, sa bouche, tout son corps je crois bien, sont devenus rayonnants. Elle a courru vers ses copines, toute joyeuse, leur montrer la pièce de monnaie, comme s'il  s'agissait d'un immense trésor.

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Cette scène-là, aussi banale qu'extraodinaire, est elle aussi restée vissée en moi, et, je le sais, pour longtemps.

 

Tous les jours, à tous les instants, nous pouvons ainsi recevoir, et aussi donner, d'intenses moments de bonheur très courts. Ils laissent une trace durable, profonde ou épidermique, qui permet de se sentir à nouveau heureux. A chaque instant.

 

Parfois me vient l'idée bête que c'est moi qui en suis à l'origine.

 

Je me sens fort, parce que j'ai été capable de recevoir ces dons.

 

"Jour après jour tu me formes digne des grands dons simples que tu répands spontanément sur moi : ce ciel et la lumière, ce corps et la vie, et l'esprit, n'épargnant les périls de l'excessif désir" (Rabindranath Tagore, l'Offrande Lyrique, poème14)

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Jérôme van Langermeersch

mai 2016