La mécanique mystique

L'intimité avec Dieu me fait devenir quelqu'un d'autre.

amour de dieu amour de dieu  Pour certains mystiques, tels St Augustin ou St Jean de la Croix, la plus grande des souffrances est d'être séparé de Dieu, se sentir loin de lui. Ils semblent ne dire que cela, au fond, tout au long de leurs vies et de leurs écrits. Ils ne sont heureux que s'ils ont le sentiment de sa présence, à côté d'eux ou dans leur intimité, leur chair.

Et chacun de nous peut expérimenter cela. Cette souffrance, et ce soulagement.

C'est très rassurant. Même si je ne suis pas un grand saint, ni un moine, je puis moi aussi avoir cette relation à Dieu. Même si ça ne dure pas, même s'il faut toujours recommencer.

C'est magique. Car il suffit parfois de très peu pour être pris comme dans un filet, prisonnier d'un autre que nous. Alors qu'il semblait très loin, ou absent.

Il nous arrache à nous-mêmes, corps et pensées.

Et c'est possible, justement  parce que ça ne dure pas. Sinon ce serait peut-être  insupportable. Et on pourrait croire que ce n'est pas vrai.

C'est possible aussi parce que cela ne vient pas de nous-mêmes. Ce n'est pas nous qui sommes à l'oeuvre. Seuls nous ne serions pas capables d'un tel prodige. Il nous faut quelqu'un de plus malin, de plus amoureux aussi.

 

« Achevez votre oeuvre, si vous voulez. Déchirez la toile qui s'oppose à notre douce rencontre. Si quieres, rompe la tela de este dulce encuentro » (St Jean de la Croix, La vive flamme d'amour).

 

lumiere mysique lumiere mysique  

Cette phrase me revient très souvent, lorsque je me laisse aller à la tristesse, au vague à l'âme. Surtout le matin quand je me réveille, après un rêve très intense, vivace, comme cela m'arrive fréquemment. Je suis encore entre le sommeil et l'éveil – en fait c'est chaque jour qu'il faut renaître. Comme si chaque matin nous étions obligés de ressusciter, après la nuit, la mort.

Et cette toile qui s'oppose à la douce rencontre, elle devrait être très facile à déchirer : puisqu'il s'agit de mes propres pensées, que personne ne m'impose. Je n'ai que moi à vaincre, que moi à convaincre.

Cette seule phrase – empreinte d'érotisme, comme très souvent chez St Jean de la Croix – est une invitation à l'amour, et aussi à la violence, au déchirement.

Je dois me faire violence pour m'extirper de mes propres angoisses – et en même temps cela ne me demande aucun effort. Je n'ai même pas à rompre la toile, je n'ai qu'à demander à mon Seigneur de le faire.

Alors il le fait.

 

« Sa majesté me dit très souvent, en me montrant beaucoup d'amour : « désormais tu es à moi, et moi je suis à toi ». Et voici ce que j'ai coutume de lui dire : « quel souci, Seigneur, ai-je de moi-même ? Vous seul comptez pour moi. Solo Dios, basta ». (Ste Thérèse d'Avila, Le Livre de la vie, chapitre 39)

 

Dieu seul suffmystique 1 mystique 1  it. Cela peut avoir deux sens. Soit : il n'y a que Dieu qui soit capable de nous suffire à lui seul. Ou bien : Dieu seul me suffit, je n'ai besoin de personne d'autre. Cela revient à peu près au même, en fait, et les deux interprétations sont valables. Ainsi on peut se servir de l'une, ou de l'autre, suivant les circonstances.

Ce qui compte, c'est que cette intimité avec Dieu m'éloigne de moi-même, et me fasse devenir quelqu'un d'autre. Ainsi j'échappe aux tourments du moment, je suis gagnant sur toute la ligne.

Et tant pis si c'est une illusion.

D'un côté cela doit l'être un peu, illusoire, puisque passé le miracle, les vieux démons reviennent. Et en même temps cela ne peut être un fantasme, puisque je suis réellement guéri, au moins provisoirement. Il s'est donc bien passé quelque chose, en vrai.

Au fond tout ceci est très mécanique, très logique.

 

 

Jérôme van Langermeersch