Notre monde est infini

Chacun est unique

 

 

unique unique  Il y a peu, je m'apprêtais à ouvrir la porte pour sortir de la maison, et j'ai tout naturellement sorti d'un tiroir le jeu de clefs pour en extraire celle qui convenait. Au cours de cette manœuvre qui a duré deux ou trois secondes, je me suis surpris – pour la première fois de ma vie probablement – à réfléchir à chacun des quelques gestes. C'était involontaire évidemment. Prenant le trousseau de clefs à deux mains, l'étalant devant moi, je les isolais une à une pour arriver à la bonne. Observant chacune des étapes, occupé uniquement à cela je me suis dit : « c'est incroyable. C'est la première fois que les clefs sont agencées de cette façon-là. Ma main droite ne les avait encore jamais tenues comme ça, la gauche n'avait encore jamais extirpé celle-ci, puis celle-là, de cette manière-là »

Répétant ce geste des dizaines de fois par jour depuis des dizaines d'années, j'ai réalisé que très probablement je ne l'effectuais jamais exactement de la même façon.

C'est bien bizarre : cette soudaine découverte, parfaitement inutile, m'a incité à rendre grâces. J'en venais à remercier le Seigneur – qui n'y était sans doute pour rien, pour un tel prodige.

Alors que cela ne tenait pas du prodige, mais du simple bon sens, de la pure logique.

Et pourtant j'ai envie de tenir cet événement pour un miracle. Comme bien d'autres, si l'on y prête attention.

 

Il paraît que depuis la nuit des temps, et jusqu'à sa fin, aucun flocon de neige ne sera strictement identique à un autre. Tant les lois physiques qui président à leur formation sont complexes et nombreuses – des lois en bonne partie liées au hasard, hasardeuses.

Je ne sais plus qui est le farfelu qui a établi cela, ni encore moins comment il a fait. Peu importe, j'ai envie de le croire, car c'est joli et ça me fait plaisir.

J'aime aussi croire que chaque vague de l'Océan est unique, il n'y en a jamais eu et il n'y aura jamais deux exactement semblables. L'Océan lui aussi est unique, puisqu'ils communiquent tous entre eux, et les mers aussi, et les fleuves qui s'y déversent.

On dit que l'Univers est né de l'explosion gigantesque d'un noyau de matière – le fameux big bang. L'ensemble des astres, des particules, les boules de feu, les pierres et l'eau, … finalement la vie, étaient alors déjà contenus dans ce noyau initial, pour évoluer et se transformer sans cesse pendant des milliards d'années.

Jusqu'à aujourd'hui – alors cet aujourd'hui n'existe pas vraiment.

Et encore demain – pour le meilleur ou pour le pire.

Franchement c'est incroyable, cette histoire de big bang – et pourtant tout le monde y croit, me semble-t-il.

Nous serions nés du hasard, alors notre avenir aussi est hasard. Même si nous pouvons y contribuer un peu par notre volonté et nos actes – pour le meilleur ou pour le pire.

Et chacun des milliards d'êtres humains est différent de tous les autres, depuis la nuit des temps et jusqu'à leur terme, sans doute. Cela aussi est fascinant et incroyable – et là on est bien obligé d'y croire, c'est bien la réalité.

 

Ainsi en est-il du temps qui passe : chaque instant est totalement différent du précédent et du suivant, il en a été et il en sera toujours ainsi. A chaque instant je suis appelé à mourir pour faire place au suivant, et à renaître. C'est merveilleux.

Observez une partition musicale : chaque note est séparée de la suivante, et pourtant lorsqu'elle est jouée ou chantée il n'y a aucune pause entre les deux (sauf si la pause est indiquée). Evidemment c'est une astuce que nous avons dû trouver pour que le texte soit lisible pour le musicien. Et pourtant on peut se demander : que se passe-t-il dans ce vide-là, entre les deux notes ? Même si elles sont collées l'une à l'autre lorsqu'on les entend, il doit bien y avoir quelque chose entre elles, puisqu'elles sont différentes ? Un silence infiniment petit, mais un silence quand même. Infini.

Et songeons à l'infinité d'oeuvres musicales qui ont été et seront encore écrites, avec seulement sept notes (allez : douze, si l'on compte les dièses et les bémols) !

 

Comme chacun d'entre nous je suis unique – comme le sont chacun de mes gestes, de mes pensées, de mes émotions. Je fais partie d'un Univers dont chaque partie est unique, et pourtant intimement soudée et liée aux autres, dans le temps et dans l'espace – tout en en restant distincte.

Il y a entre moi et moi, entre moi et les autres, des espaces morts et vitaux : le vide, le silence, le sommeil ; mon intimité, celle de l'autre.

Et lorsque je rends grâce, lorsque j'entre en contemplation (parce que je ne peux rien faire d'autre, devant tant de mystères évidents), je me livre à un Autre.

Cet autre est inconnu et le restera toujours, il ne me parle jamais, ne se dévoile jamais – et pourtant il m'est familier, il est tout près et à l'intérieur de moi, un instant puis l'autre.

Et je le reconnais immédiatement.

 

Jérôme van Langermeersch, le 16/11/2019.