Du vide à la plénitude

Comment l'un ou l'autre peut nous habiter !

vitrail arbre vitrail arbre  Certains soirs, il m'arrive d'être triste, me sentir abattu, alors qu'il n'y a aucune raison. Cela surprend, comme ça sans prévenir.

Je suis comme "pris d'effroi, sans cause d'effroi" (psaume 53, verset 6).

Ça peut arriver à tout le monde - en fait, je n'en sais rien, je ne connais pas tout le monde. Et à vrai dire personne ne m'a jamais dit qu'il vivait parfois cette expérience. J'imagine, c'est tout. Parce que cela me paraît très banal.

 

Je crois que parfois nous préférons nos lassitudes à nos élans de joie. Comme si la joie nous faisait peur, comme si cela allait nous engager sur une route inconnue. Nous risquerions de ne pas être à la hauteur.

En d'autres temps c'est le contraire : je me sens assuré, plein d'enthousiasme, toujours sans raison objective. Parfois même, quand tout va mal, quand les mauvaises nouvelles s'accumulent, quelqu'un tout au fond de moi se sent bien, sûr de lui. Très fort. C'est très fort.

Un jour le moins que rien l'abandonné, un autre jour le sentiment d'être indestructible. "Vous me dites : la vie est lourde à porter. Mais à quelle fin auriez-vous vu le midi votre fierté, et le soir, votre soumission ? La vie est lourde à porter : mais ne faites donc pas vos délicats ! Nous sommes tous, tant que nous sommes, des ânes bien jolis et qui aiment à porter les fardeaux" (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, "lire et écrire").

Au fond le philosophe (mais pour moi Nietzsche est plutôt un prophète) nous encourage tout en nous critiquant. C'est sa méthode. Il fait souvent ça. Lorsque je suis surpris par la peur, par une frayeur bizzare qui ne me dit pas son nom, je pense souvent à ce texte.

"Le soleil est couché, (...) quelque chose d'inconnu m'entoure qui regarde pensivement (...) n'est-ce pas folie que de vivre encore ? Ah, mes amis, le soir est venu : pardonnez-moi que le soir soit venu" (Zarathoustra, "Le chant de la danse")

 

Pourtant quelqu'un d'autre, de plus inconnu encore, semble nous guetter, attendre son tour. Il guette sa proie, non pour la croquer, mais pour l'envelopper d'amour. C'est quand nous sommes au fond du gouffre qu'il est le plus ardent.

"Quand la nuit se fait dense, son amour est un feu" (Frère Roger Schutz, Vivre l'Inespéré).

 

A vrai dire, il n'est pas besoin d'atteindre l'extase. Il suffit de regarder, attentivement, ecouter le silence ecouter le silence  ce qui se passe à l'intérieur de soi. Ou tout autour - c'est selon. Selon son bon vouloir. Et aussi d'écouter, même s'il n'y a rien à écouter. Cela n'a pas d'mportance en fait. Etre attentif au silence : c'est extraordinaire. Cela ne coûte rien, cela ne demande aucun effort, mais c'est très payant. Si j'écoute bien absence de bruit, je m'aperçois que je ne suis rien, à ce moment-là. Après je serai à nouveau quelqu'un bien sûr, mais pour le moment je ne suis rien. Qu'un vide à remplir. J'en ai envie.

 

J'aime me dire que parfois je suis génial, et parfois une vermine, un moins que rien. Ainsi je n'ai peur ni de l'une ni de l'autre sensations. Elles se valident l'une l'autre. Me sentir au-dessus du monde - et avant tout de moi-même, n'est plus de l'orgueil. Puisque je sais que l'instant d'après, je serai plus bas que terre, humilié (l'humus, ce sont des débris de terre décomposée : c'est bien de cela qu'il s'agit).

 

"Si, dans la prière, tu ne trouves aucune raisonnance sensible de Dieu en toi, pourquoi t'inquiéter ? La ligne de partage est imprécise entre le vide et la plénitude, comme elle l'est entre le doute et la foi, entre la crainte et l'amour" (Frère Roger, ibidem)

 

 

Jérôme Van Langermeersch